[ Aller au nouveau Forum ]

Promenade fatale


[ chronomania.net - Les archives de l'ancien forum ]


écrit par Olivier S le 14 mai 2002 11:25:18:

Vendredi je me baladais en toute innocence sur Ebay Avenue, nommée aussi Boulevard des Tentations, tentations auxquelles nous savons résister car nous sommes de vrais hommes, adultes responsables, sachant raisonner et se maîtriser. Mais en vérité peut-on réellement parler d'innocence lorsqu'on se dirige vers ce lieu que l'on connaît déjà comme étant fréquenté aussi bien par des suissesses que des grec(que)s ou des brésiliennes, ce lieu où se côtoient sans complexe le Bien et le Mal, où la frontière entre l'enfer et le paradis est si ténue, fluctuante, et comme volontairement plongée dans un brouillard si épais que les voyageurs les plus aguerris y perdent leurs repères quand ce n'est pas leur chemise.
Mais le temps était doux, l'humeur badine, les soucis relégués à plus tard, et une petite promenade ne pourrait que terminer agréablement une après-midi somme toute assez banale; banale, voilà une fissure invisible par laquelle pourrait s'engouffrer le Mal à mon insu, sous le prétexte de rendre cette journée moins banale, mais l'humeur n'était pas à remâcher des idées d'insécurité et à construire des stratégies de défense, que l'on sait par ailleurs complètement vaines sans se l'avouer; si on se l'avouait, on n'irait jamais se promener l'air de rien et le nez en l'air sous le prétexte fallacieux de juste regarder et s'informer. Pour être tout-à-fait complet je dois ajouter un fait aggravant qui aurait dû m'alerter: je m'étais muni d'une coupure de cent dollars toute neuve, presque machinalement et en feignant de l'ignorer.

J'arpentais donc l'avenue d'un pas souple et léger, laissant traîner mon regard ça et là sans arrière-pensée ou presque, dans un état d'esprit inverse de celui de l'accro en manque qui recherche fébrilement et à tout prix l'objet du passage à l'acte qui calmera son anxiété. Au détour d'une ruelle, je tombe sur une petite Movado, d'allure simple et aux aiguilles d'une finesse émouvante; son protecteur est uruguayen, ce que je trouve aller très bien avec la consonnance ibérique de son nom. Je jette un regard blasé sur son tarif, aux alentours de 75$, ça paraît très raisonnable mais, bon, on n'est pas là pour rigoler, on est là pour se promener.

Après une dégustation de crêpes dans le quartier, je me rends compte presque par hasard (mais est-ce vraiment le hasard) que je me retrouve sur la grande Avenue et que (encore le hasard) ma petite urugayenne ne sera plus libre dans moins de trois minutes; en mettant ma main dans la poche, mes doigts rencontrent la coupure de cent dollars évoquée plus haut, et je me dis qu'il serait dommage de ne pas s'offrir une petite satisfaction somme toute très raisonnable avant d'aller se coucher, même si l'objet convoité semble avoir quelques marques d'usure. Bon, allez, reste vingt secondes, je pose mon billet sur le comptoir disposé à cet effet et où, je dois le dire, se presse une foule plutôt clairsemée; mais quel plaisir d'être celui qui l'emporte à cinq secondes de la fin !!!!

Evidemment, une fois passée cette satisfaction éphémère, une certaine lassitude se fit sentir, teintée de la culpabilité de ne pas avoir su maîtriser une CHI qui s'était avancée masquée et à pas de loup, avec toute la fourberie qu'on lui connaît. Aucun signe avant-coureur, à moins que je n'aie pas voulu les voir (ce qui est possible), une petit instant de détente et paf! ça vous tombe dessus.. mais sans violence, sans douleur, d'une façon très naturelle et finalement assez agréable.

Pardon à ceux pour qui ce récit ravive des souvenirs douloureux, mais je sais qu'ici on peut se confier en toute amitié, et ça fait du bien :-)


Réponses:


[ chronomania.net - Les archives de l'ancien forum ]