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Grandeur et décadence de l’Horlogerie Suisse


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écrit par Vapaanga le 28 mars 2005 21:06:26:

Grandeur et décadence de l’Horlogerie Suisse

Pour celui qui découvre pour la première fois la montre mécanique, il peut paraître étrange qu’un aussi petit objet puisse atteindre des prix si dithyrambiques. Comment se fait-il qu’il existe une telle différence de prix entre une montre quartz et une montre mécanique? Est-ce le fait de l’existence de qualités techniques hors paire dans la montre mécanique? Non. Est-ce le fait de la mise en œuvre d’un savoir artisanal dans la fabrication d’une montre mécanique? Non. Alors est-ce le fait que la mise sur le marché d’une montre mécanique nécessite la mise en œuvre d’une logistique coûteuse? Non.
Mais alors, pourquoi les montres mécaniques sont-elles si chères? Un début de réponse…


La fin des années 60: l’age d’or des marques suisses


Il y a eut un age d’or du mouvement mécanique. Un age d’or où les grandes marques horlogères suisses appartenaient à des familles, où ces familles se livraient une guerre sans merci pour conquérir un nouveau public et gagner de nouvelles parts de marché. Cette guerre commerciale se faisait à coup d’innovations technologiques et non pas exclusivement marketing. C’était une guerre à l’ingéniosité technique: les marques innovaient, puis communiquaient sur leurs innovations par la publicité.
Parmi ces marques, figuraient pas moins que Rolex, Omega, Tissot, Jaeger-Lecoultre, Zenith, IWC, Heuer, Breitling, Longines, Eterna, Universal Genève ou encore Movado. A l’époque, chacune de ces marques avait déjà un peu son créneau avec à la fois ses modèles phares et ses innovations techniques. Heuer était déjà très orientée vers le chronographe sportif à tendance automobile, Breitling vers l’aviation avec sa Navitimer, Rolex vers les montres de sport robustes, Omega était une marque multi-gamme avec ses Seamaster, Speedmaster, DeVille ou encore Genève. Eterna était l’inventrice du roulement micro-bille sur les rotors des automatiques et en faisait son fond de commerce. Longines possédait parmi l’un des plus beaux chronographes de manufacture avec son 30CH. Zenith possédait les plus beaux mouvements à remontage manuel et IWC à remontage automatique. Rado se lançait déjà dans le métal dur inrayable et Jaeger était l’un des leaders de la montre réveil.
A l’époque, et aujourd’hui encore, la montre mécanique était un produit industriel de masse: nul n’y pouvait échapper car la micro-mécanique était ce qu’il y avait de plus à la pointe en terme de technologie. La montre répondait à un réel besoin: donner l’heure. Ce n’était pas une fantaisie d’où l’inexistence du tourbillon, aujourd’hui considéré comme un must. Car les gens n’avaient pas besoin de se représenter le mécanique comme quelque chose d’exceptionnel. C’était avant tout une technologie utile, d’où des innovations réellement pratiques qui abonderont jusqu’à la fin des années 60: date au guichet, changement de date rapide, stop seconde, deuxième fuseau horaire, chronographe, réveil…
La recherche de la précision, de la robustesse et de la fiabilité étaient par ailleurs gage de qualité. Les clients devaient en avoir pour leur argent. Les marques de luxe? Elles étaient rares et se comptaient sur les doigts de la main: Patek Philippe, Audemars Piguet, Vacheron Constantin, Piaget. Par ailleurs, la quasi majorité des marques les plus vendues telles Rolex, Omega ou encore Jaeger-Lecoultre étaient des manufactures avec une réalisation des composants horlogers faite en grande partie à l‘interne. Pourquoi une telle recherche de l’autonomie? Pour une raison très simple: non pas pour crier sur les toits que l’on fabriquait « manufacture », ce qui est aujourd’hui perçu comme un exploit, mais parce qu’au final, cela permettait de faire des économies, de vendre moins cher et d‘intégrer plus rapidement l‘innovation. Car le prix, à l’époque, était le nerf de la guerre: vendre à un prix concurrentiel, c’était à coup sûr conquérir de nouvelles parts de marché. Dans ce domaine, Omega était indéniablement la marque qui battait tout les records de vente, de qualité, et d’inventivité: 137 000 montres certifiées Chronomètre en 1964 contre seulement 59 000 pour Rolex. Aujour’hui, la situation s’est sacrement inversée: Rolex produit plus de 700 000 montres certifiées tandis qu’Omega ne dépasse pas les 200 000 Chronomètres par an…


Les années 70: la grande crise


Il est très réducteur d’affirmer que c’est le quartz qui a tué l’horlogerie mécanique suisse dans les années 70. Malheureusement, il faut toujours un coupable idéal et la quartz présente l’avantage de véhiculer une image de tueur froid et sans état d’âme. Pourtant, les Suisses sont les premiers à développer cette technologie et à y croire. Mais peut être pas suffisamment.
Car si Omega, à titre d’exemple, est l’une des marques qui finance le plus la recherche dans ce domaine, mettant un grand nombre de mouvements quartz high-tech sur le marché à la même période, ses dirigeants perçoivent mal l’avenir du quartz dans le secteur de l‘entrée de gamme. En effet, Omega cantonne le quartz dans le très haut de sa gamme, lui conférant une image de produit haute technologie réservé à une élite. Idem pour Longines qui sort en 1971 son Ultra-Quartz ou encore en 1979 sa Golden Leaf ou « Feuille d’Or », montre la plus plate du monde. La belle sera vendue, dans un boîtier Concorde, pour la modique somme de 10 000 $. On est loin de l’image actuelle du quartz considéré par beaucoup comme un produit bas de gamme… Pourtant à l’époque, ce produit faisait figure dans l’esprit des dirigeants d’Omega d’écran plasma chez nos actuels fabricants de téléviseurs.
Ainsi, dans le catalogue Omega de 1977, le prix d’une Constellation quartz 32 kHz dotée d’un verre saphir, à savoir ce qui se faisait de mieux chez Omega, était de 1250 euros (conversion faite en euros constants, c’est-à-dire tel que le produit devrait coûter de nos jours). A titre de comparaison, le prix d’une Speedmaster Moonwatch était de 700 euros à la même époque. Pareillement, la même année, une Rolex Cosmograph Daytona coûtait 1200 euros et l’on pouvait s’offrir une Datejust en acier pour la modique somme de 900 euros. Quand je vous disais précédemment que les prix étaient plus démocratiques qu’ils ne le sont aujourd’hui…
En tout cas pas assez, il faut le croire. Car même si les fabricants suisses proposent des produits de qualité, le marché ne cesse de s’éroder à partir de 1974. En effet, le choc pétrolier de 1973 qui se produit une année auparavant est le déclencheur d’une crise qui atteint en profondeur les sociétés capitalistes. Les multinationales, pour maximiser les profits, décident de délocaliser massivement leurs grandes industries. La mains d’œuvre des pays capitalistes est bien trop chère et les avantages sociaux concédés depuis des années n‘ont aucun retentissement positif sur l‘économie: la grande expansion économique des 30 Glorieuses est bel et bien finie. Dès lors, le chômage flambe et les populations de ces mêmes pays s’appauvrissent. Forcément, celles-ci commencent à s’orienter vers des produits meilleur marché, plus accessible au porte-monnaie. C’est la raison du moins cher qui l’emporte. Par ailleurs, la valeur du franc suisse à l’exportation va durant cette même période doubler et donc entraîner un doublement des prix de vente des montres suisses… Pour finir, l’arrivée des montres asiatiques quartz à affichage analogique et LCD à bas prix achève l’horlogerie suisse…
Certaines maisons horlogères tenteront de résister en proposant des produits moins chers. Tels Heuer ou Breitling qui n’hésitent pas à abandonner leur fameux mouvement automatique chronographique, le calibre 11, sorti depuis seulement 1969 et à utiliser le dernier Valjoux 7734, mouvement chronographe aux coûts de production très faibles. A l’époque, beaucoup de maisons abandonnent la production des calibres coûteux et s’équipent chez des fournisseurs comme Ébauches S.A. (futur ETA lors de la naissance de la SMH dans les années 80). A la fin des années 70, un rapprochement est favorisé entre les deux géants de l’industrie horlogère suisse: la SSIH (Omega et Tissot) et l’ASUAG (Longines, Eterna, Rado, ETA, etc…). Ce rapprochement, qui permettrai de réunir l’outil industriel permettant de rivaliser avec le quartz asiatique, se réalise hélas trop tardivement.
Au début des années 80, la situation est catastrophique: l’horlogerie suisse ne compte plus que 30 000 employés contre 90 000 au début de l’année 1974. La moitié des marques bas et moyen de gamme ont été décimée et les grandes belles de l’horlogerie sont désormais pratiquement toutes sur la sellettes. L’heure des rachats et des partages est entamées…

FIN de la première partie




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