Géraaaaaaaard: je l'ai déjà! ;-))


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écrit par Dominique le 31 mai 2006 11:55:03:

en réponse à: Speedmaster: l'âme d'un objet inanimé...(un peu long) écrit par Dominique le 30 mai 2006 14:54:01:

>« Tout homme est deux hommes et le plus vrai est l'autre », cette remarque de Jorge Luis Borgès peux également s’appliquer aux objets. Tout objet est deux objets et le plus vrai est l’autre. En d’autres termes l’objet vaut pour ce qu’il est, pour ce à quoi il sert mais également vaut-il pour ce qu’il représente.
>L’objet est une structure matérielle, dotée d’une morphologie, d’une fonctionnalité et d’une forme extérieure identifiable, dont l’ensemble est «destiné» à un usage ou une pratique plus ou moins spécialisés. Mais cet objet est indissociable de son environnement qui lui procure son efficacité énonciative et pragmatique. Ce contexte est aussi constitué des usagers et des spectateurs potentiels, de leurs attentes et de leurs compétences. La sémiotique de l’objet s’articule donc dans cette tension entre ce que Roland Barthe appelait la valeur transitive et qui la fonction de l’objet, autrement dit sa valeur d’usage et la valeur signifiante qui est disait-il ce « sens qui déborde l’usage de l’objet » (conférence sur la sémantique de l’objet. 1964)
>Dans le cas du chronographe Speedmaster d’Omega cette valeur signifiante tend à supplanter dans l’esprit et les attitudes des propriétaires d’aujourd’hui la valeur d’usage pour lequel il avait été conçu hier (même si cette affirmation doit être nuancé en fonction notamment du nombre de montres possédées par le propriétaire du chronographe d’Omega ). Il ne donne plus seulement l’heure, il permet de s’inscrire dans l’histoire de la conquête de l’espace. Il ne sert pas seulement à chronométrer la cuisson des œufs, il permet de marcher à son tour dans les pas de Armstrong sur la Lune. Il est la preuve, comme le prétend Jean Baudrillard dans « le système des objets », que « tout objet a ainsi deux fonctions: l’une qui est d’être pratiqué, l’autre qui est d’être possédé ».
>
>Analyse sémiotique
>1 Valeurs de l’objet
>L’ob-jet ( du latin objicio, d’ob-jectum : poser devant ) indique une mise à disposition : l’objet se place face à moi, dans une certaine proximité nécessaire, entièrement visible, dévoilé de toutes parts. Il est extérieur, disjoint du sujet. Mais en se chargeant de valeurs, en étant construit comme un « objet de désir » il peut, avec plus ou moins d’intensité, se conjoindre voire devenir une partie de soi-même. Pour son propriétaire ou celui qui en a l’usage, la jouissance, plus l’objet évolue de sa valeur d’usage vers ses valeurs signifiantes, plus il tend à devenir une partie de lui-même. Ce rapport à l’objet peut alors se schématiser ainsi :
>
>Valeur d’usage Valeur signifiante
>Extérieur à soi-même Soi-même
>Disjoint Conjoint
>Non-conjoint Non-disjoint
>Etranger à soi-même Partie de soi même
>
>
>Cette construction du sujet au travers de l’objet, cette indifférence ou cette identification à l’histoire de ce chronographe font participer, ou pas, le propriétaire, ou l’usager, à cette histoire au point qu’elle peut devenir l’essentiel de l’objet. En l’espèce posséder ce chronographe et le porter ce n’est pas seulement pour connaître l’heure qu’il est (ce qui n’est pas le cas pour la plupart des chronographes du marché et plus largement pour la plupart voire la grande majorité des montres du marché). C’est ce que soutient Philippe Starck lorsqu’il affirme : « la fonction est indispensable à tout objet, même le plus futile. Mais il faut bien comprendre que, parfois, l’objet n’a pas la fonction que l’on croit ; par exemple savoir lire que l’automobile transporte des symboles mais pas des personnes, ou que mon presse-citron n’est pas fait pour presser des citrons, mais pour amorcer une conversation ».
>2 Système de l’objet
>En somme comme le souligne Anne Beyaert, « un objet est une chose destinée à autre chose, portée par un mouvement intentionnel qui la porte vers une autre chose. Ces propriétés dessinent un « système de l’objet » :
>(1) L’objet a une aura. L’objet est alors autarcique au sens où il ne renvoie qu’à lui-même. Il se détache simplement de son environnement en affirmant sa présence, en intensité et en étendue, et apparaît comme un conglomérat d’aspects. » Dans le cas d’un collectionneur dont le chronographe Speedmaster n’est qu’une partie de la collection, l’intensité de la relation qu’il entretiendra avec lui le jour où il le portera sera d’autant plus forte que l’étendue sera faible. Alors que pour un mono propriétaire l’étendue forte du porter régulier impliquera une intensité plus faible dans la relation.
>(2) « L’objet a une matière parce qu’elle renvoie à une portion stable de l’étendue, à une substance tangible. Si cette matière est organisée, nous parlerons alors de la structure de l’objet. » En l’espèce, elle est constituée essentiellement de métal et accessoirement de cuir, de plastique, de matières radioactives et de pierres de synthèse.
>(3) « L’objet a aussi une énergie, une force quand il s’impose à la fois par sa capacité de résistance aux efforts qu’on applique sur lui. » Cette résistance au vide stellaire est devenue l’axe principale de la communication qui porte l’objet et le définit au regards de ceux qui veulent connaître l’heure qu’il est ou ceux qui veulent posséder un morceau de la Lune…
>(4) » L’objet a aussi une forme parce qu’il impose une présence cohérente, se détache du fond qui l’entoure, et combine de fait une matière et une force ».
>Typologie de l’utilisateur
>L’objet, en l’occurrence ce chronographe d’Omega, construit en quelque sorte ceux qui le possèdent ou ceux qui sont possédés par lui car d’une certaine façon rien ne justifie aujourd’hui d’acheter une montre mécanique, qu’il faut remonter chaque jour, avec une fonction chronographe dont l’usage n’est pas fréquent. A quoi peut donc pouvoir servir ce type d’objet ? Ce n'est certainement pas uniquement à donner l'heure. De nos jours, l'heure est partout : sur un ordinateur, une mairie (où les horloges ont fait leur apparition pour ne pas laisser le monopole du temps à l'église), à la radio (où elle constitue parfois l'essentiel du programme...) voire à la montre à quartz (à la précision nettement supérieur à celle d’une montre mécanique !) au poignet du passant à qui on la demande... Il s’agit donc bien d’une forme de possession au sens démoniaque du terme… Et cette possession détermine une typologie de ceux qui en sont atteints en fonction de leur degré de « proximité » avec l’objet.
>Cette typologie des utilisateurs a été formalisée par Gérard Chandès de cette façon :
>micromilieu vs macro-milieu
>différencié indifférencié
>zone de spécialisation zone globale
>non macro-milieu non micro-milieu
>non indifférencié non différencié
>zone d’amateurisme zone généraliste
>A chacun de ces publics est associé une compétence de lecture de l’objet. Elles s’échelonnent des compétences des spécialistes qui connaissent tout de l’histoire de ce modèle et qui maîtrisent l’ensemble des données techniques et symboliques (les « arcanes »), au public global qui ne réagit qu’aux stéréotypes. Au fil des ans, au fil de l’enrichissement de la saga du chronographe Speedmaster d’Omega, celui-ci à vu son public se « spécialiser » au risque pour Omega qu’il ne s’amenuise dans le même mouvement.
>Conclusion
>« L’objet est un acteur » prétendait Henri Matisse. Il s’adapte à la pièce écrite par la communication et l’environnement historico-symbolique…Plus on s’éloigne de la valeur d’usage pour se rapprocher des valeurs signifiantes, plus la pièce est complexe à suivre. Et plus cette pièce est complexe, foisonnante, et référentielle plus elle requiert de compétences de lecture. Le chronographe Speedmaster d’Omega donne l’heure, selon le système duodécimal, à tous ceux qui en maîtrisent la lecture. Mais il ne raconte une histoire qu’à ceux pour qui les montres mécaniques, l’espace, ou les deux, disent quelque chose. Le nombre de ceux-ci, si il augmente avec les années, diminue proportionnellement pourtant à l’augmentation de l’importance des valeurs signifiantes. Des valeurs signifiantes qui ne sont pas toutes données à l’objet. Certaines sont acquises et elles ne le sont qu’au terme d’un processus qui implique intérêt et efforts.



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