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Swatch Group suite


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écrit par Laurent le 07 octobre 2002 11:40:48:

Voilà encore un article intéressant, tiré de la revue de presse de WolrdTempus :


Le seigneur des spiraux

Article publié le 1 Octobre 2002
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Panique chez les horlogers. La décision de Swatch Group de ne plus livrer d'ébauches à ses concurrents dès 2006 jette une lumière crue sur la dépendance de toute l'industrie horlogère face au groupe biennois.

Si Nicolas Hayek le voulait, l'industrie horlogère suisse ne produirait plus une seule montre mécanique. Le Swatch Group, via sa filiale Nivarox, contrôle en effet l'approvisionnement de toute la branche horlogère en «parties réglantes»: quatre petites pièces hautement stratégiques et extrêmement complexes qui déterminent la cadence et la précision d'une montre mécanique (voir diagramme ci-contre). En Suisse, seul Nivarox les fabrique. Aucune des manufactures haut de gamme telles que Girard-Perregaux, Patek Philippe, Jaeger-LeCoultre, Cartier, Parmigiani, Chopard, Audemars Piguet ou Zenith... Celles-ci produisent leurs propres mouvements, mais évitent de préciser que leurs coeurs mécaniques sont livrés par Swatch Group. «Si Nivarox cesse de nous fournir en spiraux, nous ne sortons plus une seule montre», avoue le directeur d'une manufacture indépendante. Seul Rolex, au terme de plusieurs années de recherche et de dizaines de millions d'investissements, aurait réussi à développer ses propres parties réglantes et serait à même de couvrir 20% à 30% de ses besoins de manière autonome.

Et pour cause: résultat de siècles de mise au point et d'un savoir-faire unique, le spiral est à l'horlogerie ce que la pierre philosophale est à l'alchimie. Constitué d'un alliage complexe mis au point et tenu secret par Nivarox, le spiral ne doit subir aucune influence extérieure, ni de température, ni d'humidité, ni de forces magnétiques, pour garantir la précision absolue de la montre. On dit que 250 kilos de cet alliage, coulé une fois l'an en Allemagne, suffisent pour les 3,5 millions de montres mécaniques fabriquées chaque année en Suisse. Seul problème, et de taille: Nicolas Hayek - qui a refusé notre demande d'interview - règne en maître sur ce trésor.

VENT DE PANIQUE
Cette dépendance aiguë prend une tournure inquiétante à l'heure où le patron de Swatch Group rechigne à fournir une industrie horlogère qui a trop longtemps négligé son outil industriel pour se concentrer sur le design extérieur et le marketing de ses montres. La récente décision du patron du premier groupe horloger mondial de ne plus livrer, dès 2006, que des mouvements finis à la plupart des marques concurrentes a signalé un tournant dans les relations entre Swatch Group et le reste de la branche. Et déclenché un vent de panique parmi les horlogers. «Nous avons tous le trouillomètre à zéro», avoue l'un d'eux, qui préfère rester anonyme, «mais nous ne pouvons que rester servilement muets face aux exigences de M. Hayek, en espérant qu'il continuera à ne pas nous faire défaut. S'il venait à changer d'avis, tout basculerait dans l'horreur.»

Les monteurs de mouvements indépendants, à qui Swatch Group a annoncé fin août qu'il couperait l'approvisionnement en ébauches (pièces détachées de base) dès 2006, en savent quelque chose. Eux aussi se reposaient sur Nicolas Hayek, jusqu'à ce que celui-ci décide qu'ils lui faisaient trop d'ombre. Ces «établisseurs» montent en effet pour le compte de marques concurrentes de Swatch Group des mouvements que ce dernier leur livre en pièces détachées, et y ajoutent des «complications» telles que phases de lune, chronographe ou calendrier perpétuel. Une activité qui occupe quelque 700 personnes et génère une plus-value de 20% à 400% sur le «dos», en quelque sorte, des ébauches livrées par ETA, bras industriel de Swatch Group. Officiellement, Nicolas Hayek motive son embargo d'ébauches par un souci de protection du label Swiss made et de lutte contre la contrefaçon, alimentée, selon lui, par les intermédiaires.

Mais il y a d'autres explications. En les privant d'ébauches, Hayek condamne les établisseurs à un simple rôle de sous-traitants d'ETA, et fait d'une pierre deux coups: il rapatrie dans son groupe leur savoir-faire et s'adjuge la valeur ajoutée qu'ils apportaient à ses mouvements, tout en prenant le contrôle de l'approvisionnement des marques concurrentes. En théorie, il s'offre ainsi la possibilité de connaître leurs plans, et donc de faire varier ses prix ou ses livraisons s'il juge qu'elles empiètent trop sur les siennes.

Vous avez dit abus de position dominante? C'est ce que devra déterminer la Comco (Commission de la concurrence), saisie par les sociétés de montage frappées de plein fouet par la décision de Nicolas Hayek. Patrick Krauskopf, vice-président de la Comco en charge du dossier, doit décider d'ici à fin septembre de l'ouverture ou non d'une enquête. Certains horlogers tentent entre-temps de se rassurer: «J'ai de la peine à croire que Nicolas Hayek veuille démanteler le tissu horloger qu'il a contribué à faire revivre», affirme l'un d'eux. S'il est vrai que le Swatch Group n'a jusqu'ici pas ouvertement abusé de son monopole, certains indices montrent qu'il pourrait désormais avoir changé ses pratiques.

C'est pourquoi les établisseurs aujourd'hui touchés tentent de rallier les grandes marques à leur cause avec un message clair: vous êtes les prochains sur la liste. En effet, si rien ne se passe d'ici à trois ans, soit fin 2005, seule la petite douzaine de marques manufacturières qui fabriquent leurs propres mouvements auront gardé une parcelle d'autonomie par rapport à Swatch Group. Et encore, elles ne pourront plus livrer leurs mouvements à des tiers, et resteront dépendantes du bon vouloir d'ETA pour les parties réglantes. Cette situation était pourtant prévisible. Nicolas Hayek ne fait que poursuivre, avec constance, une stratégie initiée il y a dix ans par la SMH, ancêtre de Swatch Group: l'intégration de toute la chaîne de production horlogère, de la fabrication à la commercialisation.

En procédant à des rachats de marques de prestige, la SMH puis Swatch Group sont ainsi passés, dans l'horlogerie de luxe, du statut de fournisseur à celui de concurrent direct pour certains de leurs clients actifs dans le haut de gamme. Une évolution qui n'a longtemps pas alerté les horlogers suisses, aujourd'hui piégés pour avoir préféré acheter à bon compte leurs composants à ETA plutôt que d'investir dans un appareil de production garant de leur indépendance.

C'est maintenant à coup de centaines de millions que des groupes comme Richemont (Cartier, Jaeger-LeCoultre, Piaget...) investissent dans leur chaîne de production pour tenter de verticaliser vers le bas ce qu'Hayek a intégré vers le haut. Il en va de leur autonomie et, peut-être aussi, de leur capacité à se développer.

Le plus difficile sera de s'affranchir de la mainmise de Swatch Group sur les parties réglantes et les fameux spiraux. Et dire que dans les années quatre-vingt, quand plus personne ne croyait aux mouvements mécaniques, Nivarox était à vendre! Les Japonais et les Russes fabriquent bien encore des spiraux, mais on imagine mal ces spiraux équiper des mouvements Swiss made.

Dans le plus grand secret, plusieurs initiatives auraient été prises en Suisse pour tenter de diversifier les sources d'approvisionnement. On parle de Richemont, mais aussi de Parmigiani, soutenu par les millions et l'influence de la Fondation Sandoz. «Il faudra cinq ans de développement et 50 millions de francs au moins pour arriver à produire des spiraux, explique un manufacturier. Une enquête de la Comco nous donnerait donc un peu de marge de manoeuvre et du temps pour nous retourner.» Le mieux serait sans doute que les horlogers unissent leurs forces dans un projet commun. Mais arriveront-ils, pour une fois, à surmonter leur légendaire tendance à succomber à l'esprit de clocher?

ABUS DE POSITION DOMINANTE?
Les indices révélateurs d'abus de position dominante d'ETA se multiplient. Le prix des deux principaux mouvements fabriqués par ETA a augmenté de plus de 50% en cinq ans. Plusieurs témoignages de monteurs de mouvements indépendants font état de délais de livraison rallongés ou de quantités d'ébauches arbitrairement diminuées par ETA, notamment à la suite de tentatives de rachat infructueuses. En 2001, ETA a en outre exigé des entreprises de montage qu'elles lui livrent la liste complète de leurs clients et des spécialités qu'elles leurs vendent, soi-disant pour lutter contre les contrefaçons.

Plus grave, la manufacture Jaquet affirme qu'ETA utilise des informations censées rester confidentielles au sein du groupe pour court-circuiter ses clients. Après avoir investi 800 000 francs d'outillage dans la réactualisation d'un ancien mouvement abandonné par ETA, le 1727AS, Jaquet a passé commande de balanciers spiraux à Nivarox, filiale de Swatch Group, qui en détient le monopole. Au lieu des 12 francs par pièce facturés auparavant, Nivarox a plus que doublé ses prix, pour les fixer à 27 francs. Par ailleurs, sur la base des informations de la commande passée à Nivarox, ETA a réactivé son ancien outillage et contacté le client de Jaquet, un horloger haut de gamme genevois, pour lui proposer les mêmes mouvements 25% moins cher. Pendant ce temps, Nivarox accuse un retard de plus de cinq mois dans la livraison des spiraux à Jaquet, l'empêchant de fournir son client genevois.

Bilan / Par Grégoire Baillod / www.bilan.ch

QUI PRODUIT QUOI DANS UNE MONTRE MÉCANIQUE?

Le mouvement d'une montre mécanique comprend en général nonante pièces, la plupart comprises dans les ébauches. On distingue trois fonctions principales: la force, fournie par le ressort de barillet, la transmission, effectuée par les rouages, et la régulation, assurée par les parties réglantes. L'industrie horlogère suisse produit actuellement 3,5 millions de montres mécaniques par an, contre 35 millions en 1970.

ÉBAUCHES
Kit de pièces de base pour le montage du mouvement, comprenant la platine, les ponts, le barillet et les rouages. Le Swatch Group fournit environ 80% des ébauches utilisées par l'industrie horlogère suisse, le reste étant fabriqué par des manufactures indépendantes.

AIGUILLES
La société Universo, filiale de Swatch Group, fournit près de 80% des aiguilles de montre utilisées par l'horlogerie suisse.

PARTIES RÉGLANTES
Formé par le balancier spiral, la roue d'ancre et l'ancre, cet ensemble constitue le véritable coeur de la montre mécanique. C'est lui qui fait «tic-tac» à mesure que l'échappement (ancre et roue d'ancre) libère la force fournie par le ressort de barillet. Le balancier spiral a la même fonction qu'un balancier de pendule et donne le tempo du mouvement. La filiale Nivarox de Swatch Group est la seule entreprise à fabriquer les parties réglantes et fournit toute l'industrie horlogère suisse.

RESSORT DE BARILLET
Ressort tendu par le remontoir qui fournit l'énergie à la montre mécanique. Il est fabriqué par les sociétés Général Ressort et Feler, indépendantes de Swatch Group.





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