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[ LA PASSION DES MONTRES - LE FORUM ]


écrit par Pierre le 15 février 2001 20:07:48:

en réponse à: C'est au mauvais gout qu'il appartient d'être partial et passionné. écrit par Tempus Reactis le 15 février 2001 16:51:20:

Bon, Alain, notre cher modérateur, est justement en vacances. Dommage.

Alors bien sûr, comme je garde les clefs de la maison pendant son absence, je me sens un peu obligé d'intervenir. Mais entendons-nous bien : je ne vais pas donner la moindre espèce de position officielle sur ce débat et sur sa place sur notre forum, juste une position bien personnelle, bien subjective et certainement bien bête aux yeux de beaucoup.

Une fois encore, on assiste a un exercice classique de dialectique qui consiste à jeter des flammes sur l'opinion de quelqu'un (TempusFugit et sa chère Blancpain), et à crier à l'intolérance lorsqu'on ose vous faire remarquer que la méthode était peut-être un peu trop aggressive. Alors, par une espèce de hiérarchie de valeurs inversée, on confond pèle-mèle courtoisie et politiquement correct, afin de faire passer l'aggressivité gratuite pour de l'ouverture d'esprit. Drôle de paradoxe.

Non, personne n'est obligé d'aimer Blancpain.
Oui, tout le monde a le droit de considérer que la cravatte de son voisin dans le métro est une horreur.
Mais non, on n'est pas pour autant obligé de se lever dans le wagon, et de crier bien fort : "Regardez-moi comme cette cravatte est horrible : on dirait l'uniforme d'un VRP de 1930 qui aurait mangé ses spaguettis sans un bavoir!". Eviter d'agir ainsi n'est pas du politiquement correct, c'est de la politesse; c'est comprendre que son avis, tout auréolé de savoir qu'il soit, ne devrait jamais être un prétexte pour blesser la sensibilité enthousiaste de quelqu'un.

Quant à dire qu'il y a une aristocratie dans l'horlogerie, quand j'entends ça, je me dis que la propagande des experts marketings des groupes Richemont, LVMH et autre Swatch est vraiment plus efficace que je ne le pensais ! Cette remarque me fait bondir, car je viens d'un milieu assez différent de celui qui s'exprime régulièrement dans ces colonnes : le milieu des amateurs d'horlogerie ancienne (Ancienne avec un grand A, c'est-à-dire de l'horlogerie de poche ou de la pendulerie pre'-XXème siècle). Et alors je dois dire que lorsqu'on me parle de l'héritage "aristocratique" de telle ou telle maison, du degré de finition de tel ou tel mouvement ou de la présence ou de l'absence d'un spiral Breguet, je me marre ! Voici pourquoi :

Les montres mécaniques modernes ne sont que des jouets pour enfants gâtés. Je le sais, j'en suis un ! La technique qui les a fait naître est une technique fantastique d'inventivité, mais qui n'en demeure pas moins archaïque, puisqu'on peut remplir la même fonction pour typiquement 10 000 fois moins cher avec le quartz et l'électronique. Développer des montres mécaniques en 2001, c'est un pûr exercice de style que de nombreuses personnes (y compris de vrais amateurs d'horlogerie "historique") considèrent comme une futilité détestable. En revanche, dans l'ancien, un élément demeure qui fera toujours défaut aux productions modernes : la légitimité. Chaque élément du mécanisme n'est pas une coquêterie vide de sens, mais la véritable expression d'une tradition technique au service d'une fonction : donner l'heure. Je ne reviendrai pas sur l'enjeu historique de cette course à la précision, ni sur l'indiscutable poésie que l'on peut trouver dans l'idée de mesurer l'aspect le plus immatériel de nos vies (le temps) à l'aide d'objets parmi les plus "matériels" et prosaïques qui soient : de l'huile, des rouages. Je me contenterai de dire que lorsqu'on voit le soin apporté à un mouvement de répétition de la fin du XIXème siècle, où à l'échappement d'un chronomètre de marine du début du même siècle, on ne peut s'empécher de constater qu'à la majesté de l'exécution s'ajoute la satisfaction (toute intellectuelle, je vous l'accorde) de savoir que chacun les gestes de l'horloger qui ont donné corps à cette merveille n'était pas gouvernés par une quelconque "attitude" ("faisons semblant d'être des horlogers du XIXème siècle et travaillons comme eux"), mais bel et bien par la nécessité impérieuse de remplir une fonction.

Alors, croyez-moi, pour avoir beaucoup fréquenté ce milieu, je peux vous dire que beaucoup d'amateurs d'horlogerie ancienne nous regardent, nous les amateurs d'horlogerie mécanique moderne, comme de bien gentils papillons fasciné par les lumières du marketing.

Et le pire, c'est qu'au fond ils ont raison.

Alors parler d'aristocratie après ça ...

Mais me direz-vous, qu'est-ce que je fais sur ce forum si j'admire tant l'ancien et ne regarde le "moderne" que comme un vague exercice de style ? La réponse est que ... la chair est faible ! ;-)

Oui, intellectuellement, tout me dit que cette passion est d'une horrible futilité. Emotionnellement cependant, je reste fasciné par ces mouvements, par ces exercices de style justement, par leurs boites aussi, par la fierté absurde et narcissique que je ressens à les sentir sur mon poignet. Mais je vous rassure : j'assume pleinement ce que je ne qualifierais même pas de "faiblesse": j'aime les montres modernes comme un enfant aime ses jouets, avec une forme de candeur et de passion naïve mélée d'emerveillement et de fierté.

Mais jamais, non jamais, je n'aurai la prétention de croire qu'en m'entourant de ces objets futiles, je participerai à une quelconque forme d'artistocratie intellectuelle.

Et jamais non plus, je ne laisserai un quelconque "expert" de Drouot ou d'ailleurs m'expliquer ce que je dois aimer ou detester.

Sur ce ... pour ceux qui ont tenu jusqu'ici, merci de votre patience.
Serviteur (comme dirait Joël, sans doute notre seul vrai "aristocrate" - dans le bon sens du terme cette fois-ci),

Pierre





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